Le western est un genre
ancien considéré comme le « cinéma américain par
excellence ». Les premières images de l'Ouest Sauvage datent
de 1894, lorsque William K. Laurie Dickson tourne des images de
Buffalo Bill et de son « Wild West Show » avec le
kinétoscope d'Edison et le premier film narratif américain est un
western, Le Vol du rapide, d'Edwin S. Porter sorti en 1903. La
conquête de l'ouest est encore récente (1890) mais le mythe est
déjà présent. C'est un genre cinématographique très codifié, se
déroulant presque toujours au milieu ou à la fin du XIXe
siècle, laissant la part belle aux paysages des plaines ou du
désert.
Cependant au début des
années 60, l'âge d'or du western est déjà dix ans derrière, et
les États-Unis s'embourbent dans la guerre du Vietnam. Le western de
cette époque s'inspire plus du climat économique et politique que
des légendes de l'ouest.
Dans les années 50,
pendant ce qu'on appellera l'âge d'or du western, les westerns
mettent en scène un Ouest sauvage conquit par des individus douteux
; le héros, fragile et faillible, devant mettre un terme à leurs
exactions. Dans Rio Bravo (1958), Howard Hawks présente une
ville prise d'assaut par des bandits qui veulent y faire leur loi. Le
héros, Chance le shérif, interprété par John Wayne, accompagné
par ses deux adjoints, Dude alcoolique (Dean Martin) et Stumpy,
vieillard claudiquant (Walter Brennan), réussira à lutter contre
une bande de brigands. Ce film déroge à la règle des grands
espaces dans le western, puisqu'il est tourné en huis clos dans le
village et contient une majorité de scènes d'intérieurs.
Cependant, il applique les règles de mise en exergue de l'amitié
virile, démontrant que l'union fait la force. Chacun des trois
personnages principaux devra faire face à ses failles et les
dépasser : Dude devra vaincre son addiction à l'alcool pour rester
dans la bande. Le héros, comme souvent dans le western, est un homme
épris de liberté, prêt à tout pour la défendre.
Mais, à partir des
années 60, les réalisateurs montrent un désir de coller à la
réalité : scandale du Water gate en 1972, guerre du Vietnam de 1954
à 1973, société puritaine et conservatrice, maccarthisme... C'est
à cette époque que disparaissent quelques grands noms du cinéma :
James Dean, Buster Keaton, John Wayne... peu à peu remplacés par de
nouveaux acteurs et réalisateurs : Dustin Hoffman, Al pacino, Robert
de Niro, Sam Peckinpah, Martin Scorcese...
Pendant cette même
période, le cinéma, concurrencé par la télévision, traverse une
crise. Le western, quant à lui n'a plus à cœur de défendre le
courage des valeureux pionniers. Le genre est alors repris par les
italiens qui en font un « western spaghetti » à l'action
lente, aux dialogues quasi-inexistants et très sanglants, jouant sur
une surenchère gratuite de violence (Le Bon, la Brute et le
Truand de Sergio Leone en 1966, qui a d'ailleurs été l'objet
d'un remake Coréen : Le Bon, La Brute et le Cinglé réalisé
par Kim Jee-Woon en 2008, en est le parfait exemple). Ce western
méditerranéen fait des émules de l'autre côté de l'Atlantique.
Le genre du western
crépusculaire est né. Le premier du genre aux États-Unis est sans
aucun doute La Horde Sauvage,
Rio Bravo, Peckinpah prouve à quel point elles sont désuètes
« dans un monde où la puissance des machines (le train ou la
mitrailleuse) remplacent la morale. » (le Cinéclub de
Caen).
western réalisé par Sam
Peckinpah en 1969. Ce film raconte l'histoire d'une bande de pillards
qui, avant de raccrocher les armes, décide de faire un dernier coup.
Sam Peckinpah, en réalisant ce film, voulait détruire toute trace
de romantisme dans le western ; l'entreprise a échoué. Il joue sur
les changements de plans ultra-rapides pendant les scènes de
fusillades, combinés à un assourdissement du spectateur assaillit
par les explosions des canons et fusils. Si les valeurs qui
regroupent « la horde sauvage » sont très semblables à
l'amitié virile démontrée dans les films de Howard Hawks, comme
Dans le même temps
certains westerns tentent de réhabiliter le peuple indien, et cela
dès les années 50 : La flèche brisée de Delmer Daves
(1950), La dernière chasse de Richard Brooks (1955), Les
Cheyennes de John Ford (1964), Soldat Bleu de Ralph
Nelson, Little Big Man de Arthur Penn (1970), et plus
récemment Danse avec les Loups de Kevin Costner (1990). Ces
films ont tous pour thème la difficile et conflictuelle osmose entre
l'homme et la nature, l'indien étant présenté comme l'homme fidèle
à la nature, l'homme blanc comme le destructeur de ce fragile
équilibre. Ce nouveau western met un terme à l'ancienne opposition
homme civilisé contre homme sauvage, pour la remplacer par homme
naturel contre homme artificiel.
Il faut en effet
attendre assez longtemps pour que les réalisateurs s'intéressent à
la cause indienne. Avec La Flèche brisée de Delmer Dave en
1950 « l'indien est libéré de l'image sanguinaire dans
laquelle on l'a enfermé. Il retrouve toutes les nuances de sa
personne. Il redevient un être humain qui lutte pour survivre sur sa
terre grignotée par l'homme blanc. » (krinein.com).
Bien que plusieurs films aient abordés le sujet dans les années
précédentes, la critique est plus incisive à la fin des années
60, en ces années de massacre au Vietnam (le massacre de My Lay est
directement pointé du doigt dans le Soldat Bleu de Ralph
Nelson). Le thème récurent de ces westerns vus du côté des peaux
rouges est l'adoption d'un blanc par les indiens, quelle soit
consentie par l'homme blanc ou non.
Un homme nommé
Cheval, sorti en 1969, montre un lord anglais capturé par une
tribu de sioux et considéré comme un esclave, une bête de somme.
Pour s'échapper, il va s'intégrer à la tribu en acceptant leurs
coutumes, et finira par être considéré comme un homme. « Au
final, l'homme blanc doit reconnaître l'évidence que les indiens
sont à son image et n'ont pas à être traités de façon
inférieure. »
(Devildead.com).
Ce film, dans la ligné de La
prisonnière du désert
de John Ford en 1956, s'approche plus du film d'aventures que du
western à proprement parlé. En effet, ce qui le rattache au western
n'est que le lieu et vaguement l'époque, puisque que situé au début
du XIXe
siècle. Mais, pour la première fois et contrairement à La
prisonnière du désert,
l'homme blanc captif des indiens tient le premier rôle.
En 1964, Thomas Berger
sort son livre Little Big Man ou les mémoires d'un Visage Pâle,
qui donnera le film éponyme réalisé par Arthur Penn en 1970. Ce
livre, écrit à la première personne, narre les aventures de Jack
Crabb, enlevé par une tribu d'indiens cheyennes à l'âge de onze
ans. Naviguant constamment entre les deux civilisations, témoin
impuissant de la conquête de l'Ouest et de la décimation du peuple
indien, Jack Crabb connaîtra nombre de coup du sort et de
retournement de situations. Tantôt du côté des blancs chasseurs de
bisons, tantôt du côté des indiens vivant la bataille de la
Washita River (1868), faisant une référence évidente au massacre
de My Lay au Vietnam en 1968, l'intérêt du livre et du film réside
dans le caractère de cet homme irascible et désagréable, mal
éduqué mais toujours candide et naïf, balancé entre deux cultures
qui ne font que s'opposer et s'affronter. Le film, comme le roman, se
termine sur la bataille de la Little Big Horn, la dernière grande
victoire indienne qui voit la mort du Général Custer.
Cependant, ce western
est bien différent de Un homme nommé Cheval, et de Danse
avec les loups. En effet, dans
le premier les indiens ont l'air sortis d'un « carnaval
ethnographique », joués par de vrais natifs, des anglo-saxons
maquillés et même un hawaïen dans le rôle d'un chef de tribu.
Loin de la réalité ethnique, ce film montre des indiens amendés
puisque « sous-développés ». Dans le second, les
indiens servent l'utopie Rousseauiste du réalisateur : l'homme
naturel, fidèle à la nature, opposé à l'homme civilisé qui subit
le dictat d'une société formatée.
Dans
Little Big Man, Arthur
Penn démystifie la conquête de l'Ouest dépeignant Wild Bill Hickok
en névrosé anxieux, ne tournant jamais le dos à une porte, et
Custer en tyran pédant. Les cheyennes qui adoptent Jack Crabb sont,
en comparaison, aimables et courtois. Balloté d'un camp à l'autre,
Jack Crabb « Little Big Man » voit la déchéance de la
civilisation blanche et la destruction du peuple indien. Le
réalisateur film les grandes valeurs comme la famille, la notion de
propriété, la politique, et les personnages historiques fondateurs
du mythe avec dérision. « Au final, Little Big Man
se présente aussi comme une satire de l'american way of
life qui cède facilement aux
péchés capitaux tout en voulant se persuader de l'inverse. »
(krinein.com)
Sorti
la même année que Little Big Man,
Soldat Bleu de Ralph
Nelson retrace les évènements romancés entourant le massacre de
Sand Creek en 1964 au Colorado. Semblables au westerns de Peckinpah,
Soldat Bleu ne
s'embarrasse pas de pudibonderie, le sang jaillit des plaies, on voit
les mutilations perpétrés par l'armée américaine sur les indiens
à la fin du film. La bataille est violente et bruyante : les coup de
fusils retentissent, les sabres s'entrechoquent et font grincer des
dents, les youyous des indiens sont couverts par le galop des chevaux
et au dessus du vacarme quatre notes joués à la trompettes donnent
un rythme au drame qui se déroule sous nos yeux.
Bien
avant Danse avec les loups,
Nelson met en scène un soldat (Honus Gant) initié aux rites
indiens par une femme blanche devenue indienne (Christa Lee) :
« femme atypique, consciente de l’impossibilité pour elle de
devenir véritablement indienne, mais incapable d’accepter pour
autant l’hypocrisie ou l’aveuglement du mode de vie des Blancs. »
(Cinéann).
Impuissants devant l'accumulation des signes, les deux héros
assistent à un massacre gratuit, aucun des deux partis n'ayant voulu
prendre le chemin de la paix. La question récurrente du film est
pourquoi?, question
sans réponse ou aux réponses fausses. Pourquoi les indiens
attaquent-ils le convoi au début de l'histoire? Pourquoi indiens et
blancs ne cherchent pas la négociation? Pourquoi le colonel Iverson
choisit d'attaquer ce village, massacrant femmes, enfants, vieillards
au même titre que les guerriers?
Le
film s'achève sur une impression de gâchis, les soldats brandissant
leur trophées : scalps, membres découpés ; violant en chantant les
femmes indiennes, torturant en imitant les cris de guerres indiens.
« Après avoir découvert que les sauvages ne l’étaient pas
plus que lui, Gant, qui traverse le massacre en pleurant
d’incompréhension et d’horreur, est emmené prisonnier en riant,
brandissant la médaille que Christa lui a offerte, tandis que cette
dernière contemple les ruines du village, ainsi que le nouveau
cimetière qui orne le champ de massacre. » (Cinéann).
Usant
de la même trame de fond, Kevin Costner dépeint un Far West idéal
dans Danse avec les loups.
Muté à sa demande dans un avant-poste déserté sur la frontière,
le lieutenant John Dunbar attend les renforts, passant ses journées
à parcourir la région puis à consigner dans le détail ses
observations. Approché par des Sioux il va entretenir une relation
d'abord de curiosité puis d'amitié avec eux ; il sera finalement
adopté par la tribu lorsqu'il ramènera Dressée Avec Le Poing,
femme blanche élevée par les sioux, au camp. L'histoire prend alors
un tournant idyllique, Dunbar est à son tour adopté par la tribu,
chasse le bison avec eux, les défend contre une attaque de Pieds
Noirs et prend Dressée Avec le Poing pour femme. Cependant il est
recherché par l'armée américaine pour trahison, comprend qu'il
représente un danger pour ses amis indiens et les quittent en
compagnie de sa femme.
Kevin
Costner n'évoque pas dans ce film l'Amérique de la conquête de
l'Ouest et qui n'existe plus, mais celle qu'elle aurait pu être sans
la bêtise des hommes. Ne s'embarrassant pas de réalisme son film
est empli de « paysages idylliques et de personnages droits
[...] se battant pour des causes toujours justes et nobles. »
(krinein.com).
Plutôt que de dresser un portrait antagoniste entre les deux
cultures, le film dépeint un art de vivre, de chasser et de se
battre dénigré, perverti, écrasé par l'homme blanc. Les indiens
sont présentés avec un respect sans précédent, avec intimité et
affection en un peuple fier, vif et plein d'humour.
Danse
avec les loups est un film qui
parle d'harmonie avec les forces de la nature et les autres peuples
dans une cohabitation parfaite et magnifiée, servit par des paysages
grandioses. Versant parfois dans le mélodrame, Costner idéalise les
indiens, hommes bons et naturels opposés aux hommes blancs, venus
amener leur civilisation dans l'Ouest à grands coups de fusils. Le
propos est éloquent, c'est le sang des indiens et des blancs qui a
fait pousser la société moderne américaine, ne laissant qu'un
vainqueur.
Le
Western crépusculaire marque la fin du western en tant que genre, le
public se désintéresse de ces films, dont les enjeux moraux sont
repris par les films de science-fiction, ou les films-catastrophe.
Après l'échec commercial des Portes du Paradis
de Michael Cimino en 1981, le western connaît un long passage à
vide, jusqu'à la sortie de Danse avec les loups,
dix ans plus tard.
Malgré
tout, le western se fait de plus en plus rare sur les écrans et ne
connaît pas de succès retentissant. Pourtant quelques films et
quelques réalisateurs auront eu le mérite de rendre hommage et
honneur au peuple indien, décimé pour le territoire et la gloire de
la civilisation occidentale.
Filmographie sélective:
La Horde Sauvage ;
Sam Peckinpah, 1969
Soldat Bleu ; Ralph
Nelson, 1970
Little Big Man ;
Arthur Penn, 1970
Danse avec les Loups
; Kevin Costner, 1990